jeudi 24 juillet 2008, par Séverine Capeille
Armées de pinces à linge colorées, LN (Hélène Bourchenin) et moi décidons de fixer le tissu sur un support en bambou. Tandis que nous œuvrons méthodiquement, les personnes des stands environnants se rapprochent, mues par la curiosité. Nous feignons de ne rien voir et continuons le dispositif. Je fais des trous dans les cartons avec une petite perforeuse, improvise une espèce de mobile enfantin avec des ficelles afin de présenter les photos des rédactrices Sistoeurs. LN se félicite de notre emplacement sous les arbres et suspend aux branches des extraits de textes. On hésite un peu sur la place à attribuer au « Gang anti Gode ». Les exposants nous encerclent de leurs regards dubitatifs. Je me sens rougir. Ca vient de la chaleur… Surement de la chaleur…
Nous terminons l’installation quand l’espace mitoyen au nôtre est investi par les organisateurs afin d’y placer des poneys. Pour le plus grand bonheur des nombreux enfants présents sur le site, des balades sont généreusement proposées.
C’est avec un œil attendri que nous assistons aux allers-retours des animaux, que nous volons des bribes de conversations : « Tiens-toi bien. Tu me dis si ça ne va pas, si tu veux descendre du poney. » Il y a le petit garçon de trois ans, intrépide ; la petite fille de cinq ans, apeurée, que le papa au bob vert tente de rassurer. Béa, responsable du village associatif connue pour sa redoutable efficacité, nous apporte des chaises. Un petit air frais passe sous les arbres. Quelqu’un sifflote un riddim bien connu en lisant « L’esprit Sistoeurs » et repart en clopinant.
Je saisis une feuille et un stylo. On pourrait penser que je souhaite prendre des notes en vue de raconter ces instants privilégiés, mais j’essaye surtout de fuir l’étonnante situation qui me met face aux lecteurs en train de découvrir les textes. Leurs expressions, leurs sourcils interrogateurs, leurs sourires, parfois, me désarçonnent. Certains posent des questions, d’autres s’emparent des cartes afin de visiter le site ultérieurement.
Quand LN revient avec le jus d’orange qu’elle m’avait proposé, elle demande d’une voix enjouée : « Alors ? On nous a mis des sous ? ». Elle fait allusion à la boite de thé recouverte d’un papier doré qui nous sert de tirelire, et devant laquelle trône une pancarte stipulant : « Pour la presse indépendante ». Je réponds que non et on trinque nos verres en décidant que ce n’est pas grave : « A nous ! A Sistoeurs ! ».
Ce n’est que quelques heures plus tard qu’un festivalier inaugure notre tirelire. Quarante centimes ! Dans l’euphorie, LN demande l’adresse email de ce généreux donateur. On lui enverra la newsletter ! Les enfants présents sur le site sont désormais captivés par les contes que leur présente Patrice Kalla.
Conteur professionnel et chanteur, Patrice Kalla puise ses sources d’inspiration dans la tradition africaine, qu’il affectionne particulièrement. Pour accompagner ses textes, il utilise un Bongoma, qui est un instrument traditionnel Africain.
Tandis que les histoires s’enchaînent, les enfants qui le souhaitent peuvent également se faire maquiller par Flore ou Aurélie.
Notre stand intrigue les passants : cette culotte, cette décoration sur les arbres, cette énigmatique boite dorée, et cette… Odeur… car il y a désormais une forte odeur de cheval autour de nous ! La présence des poneys nous apparaît brutalement beaucoup moins romantique et glamour qu’au début. Il faut attendre encore un long moment, après que les bêtes soient définitivement parties, pour que les relents disparaissent enfin. Sur scène, les groupes se succèdent. Choman Fassay, African System Roots, puis Mo Kalamity dont la voix grave et puissante de la chanteuse emporte la foule.
Une barquette de frites plus tard… Le stand Sistoeurs bat son plein. Les commentaires que nous adressent certains promeneurs sont parfois déconcertants. Quand un jeune homme croit nous complimenter en claironnant : « C’est bien ce que vous faites. On voit que vous êtes contre le mariage ! », LN se lance dans une argumentation courageuse, bien décidée à démontrer l’erreur de ce jugement. Un groupe m’interpelle au sujet de « Dindes ou poulettes ? », reprochant à ce texte d’être particulièrement hostile aux hommes. J’essaye d’abord de comprendre le fondement de cette critique, rappelant à mes interlocuteurs qu’il n’est nullement question de la gent masculine dans cet article, puis j’abandonne, lasse de devoir répéter que Sistoeurs ne mène pas de guerre féministe.
21h30. L’association « Lions des neiges » prend le micro pour rappeler que nous avons l’opportunité de signer des pétitions, à l’occasion des jeux de Pékin, afin de dire NON à la dictature chinoise. Leur stand est face au nôtre, présentant des tee-shirts « Free Tibet » qui se vendent plutôt bien. Une signature plus tard… et Maxxo ( ) est sur scène. Ce groupe, déjà vu la semaine précédente à Grenoble, n’a sans doute pas fini de faire parler de lui. Les compositions sont particulièrement soignées, les musiciens et le chanteur sont généreux, débordants d’une énergie communicatrice. Le public est conquis.
L’organisation de cette quatorzième fiesta est une réussite à tous points de vue. Les deux scènes permettent d’enchaîner les groupes sans interruption. Les « Sun », qui servent de monnaie pendant le festival, sont efficaces pour gagner du temps aux buvettes. La restauration propose des merguez, des saucisses… mais j’avoue regretter de ne pas retrouver le stand de crêpes de l’an passé ! Un hot-dog plus tard… et je retourne auprès de notre QG aux couleurs orange. Une fille passe, sort son porte-monnaie et met aussitôt une pièce dans la boite prévue à cet effet. Son geste instantané me surprend. En remerciant, je lui propose une carte Sistoeurs afin qu’elle aille découvrir le site, mais elle répond : « Non, c’est bon, je connais déjà », ce qui me laisse bouche bée pendant un moment….
Après une prestation remarquée de Positive Roots Band, c’est enfin au tour d’Aswad, tête d’affiche de la soirée, de faire vibrer Villefranche sur Saône. Ces vétérans de la scène reggae (leur premier album date de 1976) sont largement à la hauteur de leur réputation : une heure trente de good vibes. Un show ponctué de moments intenses, comme par exemple le featuring du chanteur avec son jeune fils qui, espérons-le, prendra la relève.
Depuis quatre ans, ce festival connaît une renommée grandissante. Réduit à une seule journée pour cette quatorzième édition, en raison de la faiblesse des subventions allouées, il n’en a pas moins prouvé sa qualité. Neuf groupes de musique (locaux et internationaux) se sont succédé pour la modique somme de huit euros. Un véritable tour de force ! Il faut rappeler que le but de l’association Zébulon depuis son origine est d’offrir une accessibilité à tous pour un évènement culturel à grande échelle. 3500 personnes ont pu assister cette année encore à la fiesta. Ce n’est malheureusement pas suffisant pour éloigner l’association des dangers qui la guettent. Les subventions ne s’élevant qu’à 40% du budget global, il lui est particulièrement difficile de compléter la somme. Et pourtant, ce n’est pas faute d’investissements personnels…
Il faut effectivement souligner le remarquable travail de la centaine de bénévoles lors de la soirée, insister sur la persévérance de la trentaine qui nettoie le site pendant les quatre jours suivants, détailler les activités qui leur sont assignées et qui vont jusqu’au tri des déchets, dans l’intérêt de l’environnement mais aussi pour maintenir de bonnes relations avec leurs financeurs.
Puisque la ville de Villefranche sur Saône apprécie cet évènement et souhaite le voir perdurer, on peut espérer qu’elle renforcera son soutien l’an prochain. Car il serait réellement dommage que la Fiesta reggae Sun disparaisse. Les impératifs financiers ont déjà ravagé tellement de projets culturels alternatifs de qualité…
De notre côté, dans notre cagnotte, il y avait presque trois euros, à la fin de la soirée. Avec Ln, on a payé les deux euros de péage pour rentrer, et pour le reste, on s’est dit qu’on allait le mettre à la banque, pour le faire fructifier.