mardi 27 juin 2006, par Séverine Capeille
Sex and the City, Le Journal de Bridget Jones, Le Diable s’habille en Prada, Blonde attitude, Sainte Futile… pour les plus connus. Mais il y a aussi A quoi pensent les garçons, Journal d’un coup de foudre, Ado blues, Ce crétin de prince charmant, Chic et choc à New York, Des désirs et des hommes, Confessions d’une accro du shopping… En tout, on peut dénombrer une centaine de titres en rayon, et depuis peu, Desperate housewives sur nos écrans de télévision. Un carton qui nécessite de prendre la poulette à sa définition :
1. [zoologie] oiseau de basse-cour de la famille des gallinacés, femelle adulte du coq, aux ailes courtes et à petite crête
2. [cuisine] poulet femelle utilisé dans l’alimentation
3. [zoologie] femelle (d’un gallinacé)
4. jeune fille ou femme que l’on désigne affectueusement (familier)
5. femme entretenue ou maîtresse (d’un homme) (familier ; péjoratif et vieilli)
6. femme prostituée (péjoratif et vieilli)
D’abord, la « chick lit » est sympa. Elle « désigne affectueusement » les femmes de notre monde contemporain. On dit « chick lit » et c’est comme si on vous donnait un petit coup de coude complice, une gentille tape dans le dos, un clin d’œil malin… C’est la promesse d’un bon moment, où vous vous reconnaîtrez forcément, femme parmi les femmes ; où les hommes pourront découvrir toute la complexité du désir féminin. Les plus redoutables féministes sont d’ailleurs comblées : c’est le sacre de la femme libérée.
Pourtant, ce sont les définitions 5 et 6 qui retiennent notre attention, faisant toutes deux référence à la vénalité de la poulette. C’est peut-être au regard de certains progrès scientifiques que nous pouvons trouver des explications… Car depuis que la poulette a des dents (voir : Des chercheurs font pousser des dents aux poules à partir de cellules souches), elle a tendance à rayer les planchers.
Extrait du mot de l’éditeur concernant Gossip Girl :
Bienvenue à New York, dans l’Upper East Side, où mes amis et moi vivons dans d’immenses et fabuleux appartements, où nous fréquentons les écoles privées les plus sélectes. Nous ne sommes pas toujours des modèles d’amabilité, mais nous avons le physique et la classe, ça compense.
La poulette n’est pas Rmiste. Elle est journaliste, galeriste, avocate, attachée de presse (Carrie, Charlotte, Miranda et Samantha dans Sex and the city), directrice d’une ligne de vêtements, éditrice ou productrice de cinéma (Victory, Nico et Wendy dans Lipstick Jungle). Elle est une accro du shopping ou une milliardaire victime du mépris de la jet-set et qui angoisse dans son immeuble « le plus chic de Park avenue » (Chic et choc à New York). Elle est prête à tout, la poulette, pour ne pas se retrouver sur le carreau. Trahisons et faux semblants sont les maîtres mots. Luxure, envie, orgueil… on peut relever toute la gamme des pêchés capitaux.
Bienvenue dans un monde où jalousie, envie et trahison nouent et dénouent amours et amitiés sous l’oeil de lynx et la langue de p... de la mystérieuse Gossip Girl qui voit tout, entend tout et relate tout sur internet !
Non seulement la poulette est une pie attirée par tout ce qui brille (« Elle consulta sa montre - une élégante Baume & Mercier en acier inoxydable, ornée d’une rangée de diamants minuscules - avant de prendre une profonde inspiration. » Lipstick Jungle), mais en plus elle n’a pas plus de cervelle qu’un moineau.
Allons donc au bout de la démarche (du gallinacé) et posons une question : une littérature de dindes ne serait-elle pas plus représentative de la réalité ?
1. [cuisine] volaille à chair blanche, fibreuse et ferme très appréciée
2. [zoologie] femelle du dindon
3. femme ou jeune fille niaises (familier ; péjoratif)
La dinde, c’est la poule qui n’a pas de pot. Elle n’a aucune relation haut placée, aucun oncle susceptible de lui dégotter « un travail absolument VIP » (« People or not people », Lauren Weisberger). Pourtant adepte de « 130 recettes minceur en 5 à 10 minutes chrono » (Thérèse Ellul-Ferrari), elle reste lourde, incapable de battre des ailes pour gravir les échelons de l’ascension sociale. Maladroite et naïve, elle fait facilement confiance, travaillant dur dans l’espoir d’un renouvellement de CPE, CNE, CDD…, cumulant les heures sup’ impayées. Résultat : elle se fait plumer. La dinde vit un perpétuel déficit financier. D’où cette nouvelle expression française : « Quand les dindes auront de l’argent », locution adverbiale remplaçant la désuète « Quand les poules auront des dents » (puisque c’est fait), et qui signifie également « jamais ».
D’un point de vue sentimental, la dinde est une éternelle amoureuse qui a le don de se faire du mal. Elle ne va pas, comme la poulette, bondir sur sa proie et organiser des stratagèmes pour clouer sur place ses éventuelles rivales. Non. La dinde va faire preuve d’une patience exemplaire, mettre en marche une procédure coutumière : 1/ ignorer le bel inconnu afin qu’il s’aperçoive qu’elle s’intéresse à lui ; 2/ consulter horoscopes et services téléphoniques surtaxés pour évaluer les chances de compatibilité ; 3/ miser sur l’alcool pour se donner du courage en soirée ; 4/ prier. Car la dinde est farcie d’illusions, et bien qu’elle ne soit pas une poule mouillée, elle fait bien trop souvent l’autruche.
Ses moyens ne lui permettant évidemment pas de bénéficier des instituts de beauté, c’est au hammam du quartier qu’elle va se faire épiler. Tandis que la poulette vit au rythme de ses périodes d’ovulations, la dinde multiplie les calculs élaborés : henné pour avoir les racines carrées, évaluation des risques concernant les temps de pauses aléatoires… Au travail, elle fait de savants théorèmes pour poser ses RTT, cherchant vainement à avoir une longueur d’avance sur ses collègues qui auront de toute façon priorité. Elle devient, jour après jour, la reine des études de marchés : marché aux puces, marché noir… Parfois, il lui arrive d’avoir le cafard.
Mais la dinde n’est pas du genre à se laisser abattre. Elle a une capacité incroyable à reprendre du poil de la bête, à remonter du fond des casseroles les plus obscures. Se raffermissant avec l’âge, elle se rappelle qu’elle a du prix et décide de cultiver son côté sauvage.
Un mouvement de basse-cour est possible. Motivé et coloré, le collectif des « Ni dindes ni poulettes » n’hésite pas à voler dans les plumes de ceux qui les enferment dans des stéréotypes. Choquantes, déterminées, imprévisibles, ces rebelles vagabondes font scandale. Elles bousculent les idées reçues, parlent de liberté, de barbelés qui limitent les horizons au poulailler... Paradoxalement, elles se reconnaissent moins dans la « Chicken Lit » que dans « Chicken Run », le dessin animé. Pour rappel : Ginger, courageuse poulette, s’arme de patience pour faire comprendre à ses copines volatiles que le grillage n’est pas autour de la ferme mais bien dans leur tête.
Elles répètent, elles crient « Ni dindes ni poulettes ». Elles cherchent les grands espaces, les couleurs, la légèreté. Refusant d’être des victimes du « prêt à penser », elles entendent s’affranchir de leur condition, s’attaquer aux déterminismes et aux codes de la société, rabattre le caquet de ceux qui pondent les clichés. On leur dit « Féminisme », elles répondent « Humanité ». Entre férocité et amour, entre mélancolie et humour, elles résistent contre les préjugés et les inégalités. Elles préfèrent les discussions à la communication, et plutôt que de passer du coq à l’âne, elles créent la surprise en sautant du coq au vin. Elles renversent les apparences rassurantes du quotidien.
« Ni dindes, ni poulettes ». En Rap, Diam’s se veut une « Boulette ». Faudrait-il modifier la « génération nan nan » en « génération ni ni » ; inventer un nouveau nom dans le monde des Arts et des Lettres ? Ne risqueraient-elles pas de laisser beaucoup de plumes dans ce miroir aux alouettes ? Elles. C’est-à-dire les filles, les épouses, les mères, les sœurs… les femmes de tous les âges. De celles qui pensent qu’il ne faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages. De celles qui refusent d’être le dindon de la farce éditoriale, et qui craignent de voir le menu se réduire à un plat (de chicken) unique et réchauffé. Un plateau-repas posé sur l’édifice d’illusions qui constitue l’idéologie de notre époque, aussi scintillante et glacée qu’une montre Baume et Mercier.