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Nelson sous la glycine

mardi 1er mai 2018, par Chloë Sunky


On l’a tellement attendu, le soleil.
On a trouvé le parc, le banc, la position confortable
Pour discuter
De tout et de rien
Du mauvais temps annoncé le lendemain.
On ne peut pas se plaindre de la chaleur
Vu que ça ne va pas durer.
Fais chier.
Tu crois que c’est du lilas, ça ?
Google pour vérifier.
Ça y ressemble oui, on dirait bien…
C’est joli en tout cas.
Putain, c’est quoi ce bruit ? Un rat ?
Non, pas cette fois.
Un oiseau.
Un petit moineau qui n’ose plus chanter
Dans le bruit des travaux.
Il va faire combien d’étages, l’immeuble ?
La pancarte dit que toutes les équipes d’Orange
Vont être regroupées.
Toutes les équipes…
Ça va faire haut.
Le pauvre mec qui a acheté en face
Son duplex avec une grande terrasse
Et vue sur les espaces…
Verts, oui, il doit être vert
Le proprio.
Lui qui se croyait peinard
Se retrouve nez à nez
Avec des bureaux.
On aurait presque de la peine
Pour ce genre de problème
Qu’on n’aura jamais.
T’as vu les baies vitrées ?
Et les arbustes qu’il a plantés ?
On a tellement les yeux levés
Qu’on ne voit pas arriver
La dame et le Fox-terrier.
Elle a un peu chaud
Elle est trop habillée
Car elle est partie tôt
Pour aller travailler.
A cinq heures du matin
Elle a sorti le chien
Nelson
Qui nous regarde en enroulant sa laisse
Autour de nos chevilles
Un vieux gaillard qu’elle garde
Pendant que sa maîtresse
Voyage à Séville.
Quelles jolies fleurs, n’est-ce pas ?
On apprend que le printemps est suspendu
A la glycine
Tandis qu’on se vautrait allègrement
Dans les lilas.
Peut-être à cause de la couleur
Blanche
Comme les moustaches du Fox ?
Elle a la même élégance pour excuser
Notre ignorance
Que pour tenter de justifier sa tenue.
Elle n’a pas eu le temps de se changer
Elle aurait bien voulu…
Bien que la chaleur soit plus agréable
Que le froid :
Parce qu’elle est toute menue,
Elle ne supporte pas.
Après les heures de ménage,
Elle…
On l’interrompt
Pour demander son âge
Sans ménagement
On lui fait répéter :
Quatre-vingt ans.
C’est deux fois nos vies
Chez cette petite mamie.
Une hirondelle passe
Probablement
Mais on ne voit plus rien
Que son sourire charmant
Et puis ses mains.
Notre silence demande
Pourquoi ? Suggère
Comment ?
Ces petites mains
Ridées
Qui traquent la poussière ?
Qui tiennent la laisse du chien ?
A cause de la retraite…
Elle n’a pas les moyens…
Le minimum vieillesse…
Insuffisant au quotidien…
Elle baisse la voix, embarrassée
Comme si elle avait honte
A la place de la société
Elle, qui ne fait jamais de sieste
Et persiste à laver son linge
Dans sa baignoire ou son évier.
Claire.
Elle se présente enfin.
On lui dit qu’elle est belle
En toute sincérité
Mais elle signale ses cheveux
Et les racines qui ont poussé.
Claire est bien trop coquette
Pour être rassurée.
Elle ira se faire coiffer
Plus tard
Car il y a d’autres priorités :
Son enterrement
Qu’elle a anticipé
Pour soulager sa fille
Et ses petits-enfants
Qui habitent une autre ville,
Un autre département.
Elle souhaiterait les voir
Un peu plus souvent
Mais elle échappe déjà
Au mouroir
Alors c’est suffisant !
Claire rit sous la glycine
Blanche
Comme un endroit aseptisé
Où on entasse les vieux
Pour s’en débarrasser
Puis fais une confidence
Empreinte de malice :
C’est grâce à ce complice
Nelson
Qu’elle pourra s’acheter
Des chaussures pour l’été.

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