vendredi 10 juin 2016, par Cathy Garcia
Mono, l’antihéros est l’un des personnages centraux de l’histoire. Enfant des quartiers modestes devenu petit caïd trentenaire et ambitieux, il est obsédé depuis son plus jeune âge par Isolda, la fille du château. El Castillo, cette improbable copie de château-fort, qu’a fait construire sur les hauteurs de Medellin, Don Diego Echavarría Misas, issu d’une très riche famille colombienne et compagnon de Dita, une allemande qui n’a jamais voulu se marier. Isolda est leur fille unique.
Isolda a grandi à l’abri du monde extérieur, derrière les murs du château, mais elle s’échappe aussi souvent qu’elle le peut dans la forêt tropicale du parc qui l’entoure. C’est de là qu’elle ressort avec d’extraordinaires et mystérieuses coiffures, joliment décorées d’herbes et de fleurs. C’est aussi dans ce parc, que Mono et ses copains savent se faufiler pour observer en cachette cette jolie fillette, puis jeune adolescente, si différente d’eux.
La trame de l’histoire alterne le présent, où Don Diego est retenu dans un chalet isolé, après avoir été kidnappé par Mono et ses complices et des retours dans le passé, entre les souvenirs de Mono et ce que raconte le narrateur lui-même, notamment la vie à Berlin, l’après-guerre, le contexte politique, la rencontre de Don Diego et Dita, la construction du château….
Isolda s’y ennuie profondément, engoncée dans ses robes de poupées, il n’y a que la forêt qui l’attire et une mini-jupe rouge trouvée dans la cabine d’essayage de la couturière. Cette jupe lui vaudra d’être éloignée dans un pensionnat et la mélancolie de sa mère, qui a toujours eu du mal à se faire à la vie de cette ville, si éloignée de son Allemagne natale, ne fera qu’empirer et l’enfermer elle aussi toujours plus, coupée du monde.
Mono est obsédée par Isolda, un amour qui se veut pur, chevaleresque. Mono couche aussi avec le garçon, un jeune et très beau garçon, qui profite, se fait couvrir de cadeaux de plus en plus coûteux et Mono, qui vit toujours chez sa mère, dilapide pour lui l’argent provenant des casses et ce dans le dos de ses complices. Des gars pas très brillants, les complices, qui espèrent juste se sortir de la misère. L’un d’eux sera tué par la police, un autre deviendra fou, aucun en tout cas ne verra ses rêves se réaliser. Twiggy, la bimbo de la bande, est amoureuse de Mono, elle lui sert de couverture pour que nul ne devine sa réelle orientation sexuelle. Tous espèrent échapper à leur vie minable grâce à la rançon de ce coup magistral : le kidnapping de Don Diego.
Mais nul dans ce roman n’obtiendra satisfaction et ce quelle que soit sa richesse, bien ou mal acquise, la différence étant d’ailleurs parfois très floue. Quelque chose plane sur cette Medellin de 1971, qui augure de la violence dans laquelle elle ne va pas tarder à basculer. D’ailleurs cette histoire qui baigne souvent dans une atmosphère irréelle, s’inspire pourtant de faits, de lieux et de personnages réels et l’un des complices du véritable Mono, s’appelait Pablo Escobar.
Le monde extérieur est un roman atypique, noir, poétique, étouffant, difficile à cerner, un peu comme les contours d’une forêt, mystérieuse et féérique ou jungle humaine sans pitié.
Jorge Franco est né à Medellín en 1962. Il a étudié la mise en scène à l’école internationale du film de Londres et la littérature à la Pontificia Universidad Javeriana de Bogota. Il a également été membre de l’Atelier Littéraire dirigé par Manuel Mejía Vallejo à la bibliothèque municipale pilote de Medellín ; et membre de l’atelier d’écriture de l’Université Centrale dirigé par Isaías Peña Gutierrez. En 1996, il est sélectionné pour la septième édition du Prix Carlos Castro Saavedra de la nouvelle, pour Viaje Gratis ; la même année, il est récompensé par le Prix National Pedro Gómez Valderrama du roman pour son livre de nouvelles Maldito Amor ; et en 1997, il remporte le prix national de la Ville de Pereira avec son roman Mala Noche. Son troisième livre, La Fille aux ciseaux, a connu un très grand succès et a été adapté au cinéma sous le titre de Rosario.
Le monde extérieur de Jorge Franco, traduit de l’espagnol (Colombie) par René Solis - Ed. Métailié, 17 mars 2016.