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Sandrine & Joséphine vont vivre au Maroc

Aurevoir les Sistoeurs

mardi 20 juillet 2004, par Séverine Capeille

C’est décidé, elles plaquent tout. En août prochain elles sauteront dans un camion ; réquisitionneront quelques mecs, musclés de préférence, pour le déménagement, et feront coucou de la main à leurs parents. Sandrine et D’Jos (c’est son surnom) se tirent de Lyon. Elles ont vingt cinq ans et elles s’en vont. Présentations :

Sandrine : Elle est « trop ». C’est la conclusion possible à son célibat, si l’on en croit un concept découvert grâce à l’émission de Delarue. Trop belle, trop souriante, trop épanouie, trop sportive, trop fêtarde, trop… Sandrine cumule. Ca fait d’la peine. Alors bien sûr, y a trop d’gens qui l’aiment. C’est son problème. Elle doit s’assurer que son portable est bien coupé à chaque fois qu’elle veut faire une sieste ; tous les après midi. Car Sandrine est représentante en boulangerie. A six heures du mat elle est sur le pied de guerre, baguette à la main, haranguant le passant qui ne voudrait pas goûter son nouveau-pain-en-super-promo-tout-chaud. Sillonnant la France avec sa camionnette Banette, elle lutte chaque hiver contre le froid et l’envie d’envoyer bouler les ménagères. Elle écoute du rap pour se distraire.

Joséphine : ou D’Jos pour les intimes Elle est « psy ». C’est comme ça. On n’y peut rien. Elle analyse à tout va. Cherche à comprendre pourquoi les gens ne vont pas bien. On en profite parfois. On écoute ses conseils autour d’un bon vin. D’Jos aime la vie. Les repas qui n’en finissent pas. Les danses, pieds nus, sur les planchers dégarnis. Les voyages solos en Mauritanie. Elle est un mélange de douceur et de fermeté, de sucré et de salé, d’épices et de volupté. Elle est équilibrée. Et le pire, c’est qu’elle le reste malgré tout ce qu’on peut lui raconter. Elle travaille auprès d’ados en difficultés. Ados qu’elle rencontre d’ailleurs parfois dans les soirées reggae.

Elles en parlent depuis six mois. Le Maroc par-ci, le Maroc par-là. Les yeux tout brillant d’inconnus, de possibles, elles ont cette frénésie insolente qui fait qu’on a envie de les suivre. Sistoeurs vous offre, en large et en couleurs, l’histoire de ce départ qui nous tient à cœur.

Quand elles sont revenues de vacances, l’été dernier, on a tout de suite senti que quelque chose avait changé. Elles n’étaient plus les mêmes. Sandrine annonçait sereinement qu’elle allait enfin quitter celui qu’on ne voyait jamais mais qui la harcelait toutes les heures sur son portable depuis deux ans. Joséphine parlait peu mais avait le regard pétillant, un sourire en coin qui trahissait un nouvel amour évident.

Elles étaient parties pour quinze jours d’insouciance avec rap à fond dans la voiture, tente et carte d’Espagne à portée de main. Elles avaient longé la côte avant de finir à Gibraltar. C’est là que tout s’était joué. Lors d’une soirée à Tarifa. Neuf marocains rencontrés, un « chéri » chacune pour l’été, bagatelles, cocktails, sable entre les doigts de pieds… Bref, quand elles étaient revenues, elles avaient changé. Plus euphoriques, plus enjouées, pendant une semaine. Puis déprimées. Alors elles se téléphonèrent, souvent et longtemps grâce à des forfaits millénium et des points fidélité. Pour pallier leur ennui elles organisèrent des soirées, remplirent leurs agendas d’activités diverses et variées. Rien n’arrivait à les distraire et c’est ainsi qu’elles décidèrent de se tirer, de partir au Maroc dès le prochain été.

Dans un premier temps, personne n’avait relevé. Aux retours des vacances, il arrive de dire des choses qui dépassent la pensée et, le froid s’insinuant dans notre couette solitaire, de rêver un climat susceptible de nous réconforter. Pas de réaction, donc. Ce n’est qu’un peu plus tard, quand Sandrine demanda à l’apéro si « on peut toucher les Assedics quand a démissionné ? » que le projet s’était brusquement concrétisé. On sentait que les filles étaient à bout, accrochées à l’espoir d’un avenir meilleur tandis que les flics les avaient dans le collimateur : amendes pour stationnements illicites, excès de vitesse… Depuis Sarko, elles étaient à fleur de peau, payant pour leur sécurité mais cherchant vainement leur sac dans la voiture fracturée. D’Jos partageait son temps entre son mémoire de DESS et son stage dans un collège. Sandrine vendait son pain dans le vent du matin. Glacé. Sortait avec des mecs, se rendait compte qu’il n’y avait rien à en tirer. Entre deux boulangeries, entre deux flirts rassis, elle imaginait une nouvelle vie.

En février 2004, elles étaient reparties. Un vendredi 13. Veille de Saint Valentin. Dans l’avion, la valise, les dessous en dentelles et les photos de la famille et des amis. Quelques CV. Une semaine chrono pour voler des bouts d’été, construire un avenir en souvenir du passé. Les retrouvailles avec leur petit copain ? Moins bien. On ne sait pas trop pourquoi. Personne ne sait, je crois. Peut-être à cause du Temps, de l’Espace et du Vent. De tout ce qui efface les promesses. La ville les enveloppa de couleurs et d’odeurs, elles marchèrent en direction de leur décision, l’impatience au bout du talon. C’est ici qu’elles vivront. Sur cette terre qu’elles se construiront. C’est dit.

Elles reviennent à Lyon. Se plaignent du temps pourri, du temps trop long. D’Jos montre une incroyable capacité à cumuler les objectifs : finir la fac, trouver un appart, un camion, un déménageur… envoyer des lettres de motivations. Sandrine, de son côté, fait preuve d’imagination : organisation de jeux pour les soirées d’adieux et achat de matériel superflu pour la décoration. Une complémentarité qui fait que le duo peut fonctionner. Les jours passent. On se renseigne. Appart trouvé ? Oui, on se rassure. Fausse joie : le proprio s’est désisté. On redemande. C’est bon. Elles seront hébergées en attendant de s’installer. Et le camion ? On en est où du camion ?

Elles partent dans deux semaines. Le 4 août. Date historique dans leur histoire. Alors, on a fêté le départ. Plusieurs fois, dans le jour et dans le noir, on a fait des photos, on a trinqué avec le cœur gros. Sans trop réaliser le vide qu’elles vont laisser, on a blanchit des nuits pour éviter le cafard. Il y avait du monde. Beaucoup de mots à dire. Remplacés par des sourires. Des regards qui les suivront là-bas, où elles n’auront plus froid.


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