Franca Maï co-fondatrice du e-torpedo.net (vidéo)
lundi 4 juillet 2011, par Franca Maï
Lectrices et lecteurs du e-torpedo, amies et amis de combat, vous avez toutes et tous remarqué que votre journal en ligne fonctionnait au ralenti depuis quelques mois.
Vous avez su faire preuve d’une patience d’ange, ne comprenant pas la baisse de régime du webzine sans barbelés, réputé pour son rythme vertigineux, son ton singulier, son sens de l’éthique et du partage. Restant néanmoins fidèles et encore plus nombreux au rendez-vous,
Une « maison » chaleureuse où l’on réfléchit au devenir d’une société que nous rêvons harmonieuse, juste et équilibrée en tentant de décadenasser les préjugés et de déjouer les nombreux pièges...
Au nom de cette belle aventure démarrée il y a plus de sept ans sur la toile,
Le sale crabe qui me taraude depuis de longs mois a enclenché la vitesse sournoise de la Camarde m’affaiblissant implacablement au quotidien. Le temps qui m’est imparti ne m’autorise plus à nos échanges intenses et je voulais vous remercier toutes et tous pour la luminosité et la richesse de ces graines salutaires.
Je tiens à remercier également les rédacteurs spontanés ou dénichés au détour d’explorations sur le Net, qui ont contribué par leurs engagements et leurs plumes acérées à une réflexion profonde et à la qualité de ce webzine : Laiguillon, Gilles Delcuse, Régis Duffour, Philippe Marlière, André Bouny, Serge Rivron, Marc Alpozzo, Rozor, Andy Vérol etc..
Certaines et certains que j’ai eu le plaisir de rencontrer en chair et en os par la suite, ne m’ont pas déçue.
Sincères, loyaux, sans aucune posture.
Je remercie avec beaucoup de tendresse, les sites amis qui ont contribué au rayonnement de tous ces écrits : Bellaciao, Oulala.net, sistoeurs.net etc...
Mon dernier roman « Divino Sacrum, carnet de bord d’une vieille cancéreuse fripée » (titre provisoire) traite du purgatoire des cancéreux et du sujet tabou de la stomie. Il paraîtra peut-être... à titre posthume. Je choisis donc de vous en faire découvrir quelques pages au rythme de vos battements de cœur. Encore vivante et le souffle aux lèvres.
Continuez les luttes, ne lâchez rien !
Les rêves les plus fous sont nos alliés.
Lorsqu’on n’a plus de prise directe sur les évènements, lorsqu’on assiste impuissant à l’avancée du mal, lorsqu’on sait que l’espoir ou le désespoir ne sont plus du ressort de la logique, lorsqu’on voit la liberté et l’égalité d’une personne qui vous est chère voler en éclat sous vos yeux, il ne reste plus qu’une chose à faire : lui donner toute votre fraternité, sous toutes les formes possibles, et aussi longtemps que possible... Fuck la mort !
Sirieix
Extraits de "Divino Sacrum" carnet de bord d’une vieille cancéreuse fripée Roman de Franca Maï
Extrait 1 ...
... Parlez-moi de ce voisin du pavot, aux sépales caducs, familier des étendues à l’infini !... Décrivez-moi cette plante herbacée à l’existence fugitive, d’un rouge incarnat comme les lèvres goulues des jeunes filles en fleur, mais surtout ne prononcez pas ce mot obscène, ce mot froid comme du métal qui provoque des frayeurs inconnues, mouillant les draps fiévreux, ce mot qui ne me dit rien qui vaille pour l’instant.
Bien entendu, vous pouvez me montrer les photographies que vous tenez à ma disposition pour expliquer la teneur de votre intervention, mais je dois vous avouer... je suis devenue aveugle à tout assaut extérieur. Je ne vois qu’un coquelicot. Fin, élégant, orphelin. La beauté de votre geste chirurgical permettant de terrasser la bête en m’octroyant quelques années de sursis, croyez-moi j’en anticipe la vertu et je suis heureuse qu’une issue contrarie cette sale fatalité... Le gros intestin doit être abouché et suturé à la peau de la paroi abdominale ?. Vous voulez dire qu’un serpent va parasiter mon ventre plat mais... s’il-vous-plaît, ne prononcez pas le mot colostomie, sinon je vais hurler !.... Anus artificiel, non plus d’ailleurs ! ... Murmurez coquelicot !...
Je suis prête. Nous allons foudroyer la faucheuse, cette grue insolente qui frappe à ma porte. Je vous le jure, je ne l’inviterai pas à partager ma couche....
Extrait 2
Une truie. Voilà ce que je deviens. J’appartiens dorénavant à l’espèce porcine. Ecartelée, des sondes postées dans tous les orifices, immobilisée dans un lit maculé, je me vide avec récurrence, ne retenant aucune nourriture artificielle. J’empuantis l’air stérilisé. L’émanation est pestilentielle. Les anges bleus virevoltent autour de moi lavant mes parties intimes avec patience et gentillesse. Comment font-elles les infirmières pour garder le sourire ?... Expliquez-moi ?...
Je me sens humiliée. Imposer cette puanteur à l’entourage hospitalier me remplit de honte. La dépendance aux autres et la perte de mon autonomie me fragilisent. Ah ! pouvoir nager dans une mer argentée en éjectant toute souillure !... Elles changent mon pansement et je n’ai toujours pas le courage de mesurer les conséquences visuelles de l’opération et de découvrir à quoi ressemble le coquelicot. Est-il minuscule ou géant ? ... Masque-t-il la petite salamandre fidèle, tatouée près de mon nombril ? Cohabitent-ils harmonieusement ? Une bile mousseuse s’échappe à nouveau de ma bouche répandant des salissures abjectes.
Je ne peux rien endiguer. Le rituel de la toilette est à recommencer. Les jeunes femmes s’activent et s’attachent, sans aucune remarque désobligeante, à m’apporter un confort bienfaisant. Elles me lotionnent à la Betadine Scrub 4%. L’effluve odieux des substances en fugue s’imprègne aux murs de la chambre rendant l’atmosphère viciée et irrespirable. J’ai le tournis. Les blouses blanches s’échappent dans un tourbillon affairé...
Extrait 3
...La défaite du jour m’enfonce dans une nuit épaisse. La poche de l’alimentation artificielle proche du plâtre indigeste s’écoule à vitesse d’escargot. Je m’endors. Les rêves échappés. Je me réveille en eau. L’humus et le bois de sapin m’aspirent. Je vais crever, c’est certain. Maintenant. On ne me dit pas tout. Je ne verrai pas la rosée du matin. Ce sont mes derniers instants.
Je veux entendre sa voix. J’en ai besoin. Des sanglots se coincent dans ma gorge serrée. Je me lève. Fébrile. Mon portable à la main. Il est deux heures du matin. Elle est dans les bras de Morphée à cette heure. Je ne peux pas la réveiller. Je dois me contrôler. Je m’approche de la fenêtre. Mais aucune lueur dans le parc n’accorde de clarté. Les lampadaires sont muets.
Je ne distingue pas la silhouette du gros châtaignier, ni les allées, ni les bancs, ni le théâtre. Seule, l’obscurité angoissante parade et abuse de son pouvoir funeste. C’est la déroute. Bligny se tait. J’angoisse de pousser mon dernier râle ici. Claquemurée. Sans avoir serré ma fille. Des milliers de fois. Les larmes coulent sur mes joues. Aucune trêve. Elles viennent de loin. Elles mouillent bientôt ma chemise de nuit. Le visage collé à la fenêtre, j’attends.
Car si je ferme les paupières, je meurs. Surtout repousser le marchand de sable et épier l’aube.