samedi 3 novembre 2007, par Séverine Capeille
Oui, ici, tout le monde dit qu’il y a des avantages à habiter Lyon plutôt que Paris. Et le métro en fait partie. Certes, nous avons beaucoup moins de possibilités de concerts ou de sorties, mais les loyers restent accessibles (même s’ils augmentent de façon effarante) et nous privilégions, aimons-nous dire, la « qualité de vie ». Comme si l’expression pouvait avoir un sens dans une ville aujourd’hui… Qu’importe. On se dit qu’à Lyon, on vit bien. Notre argument imparable : les transports en commun.
Un métro toutes les trois minutes en heures de pointe et de la musique dans les stations, ce n’est pas rien. De mélodieux « bip bip » indiquent la fermeture des portes, et jusqu’à peu, les plus pressés pouvaient, au premier signal, courir depuis les marches de l’entrée jusqu’aux portes du wagon. Non seulement il n’y avait personne pour gêner d’héroïques sprints sur le quai, mais surtout, il n’y avait pas de portillon.
Les parisiens, habitués, ne verront rien d’alarmant à ce genre de situation. Certains imagineront même des portillons d’opérettes, qu’on peut sauter comme dans les films d’action. Erreur. Les nôtres sont cernés de vitres en plexiglas et empêchent les sportifs élans de la population. Mais là n’est pas la question. C’est du comportement lyonnais dont il faut témoigner.
Avec les portillons, on peut dire que tout a basculé. Il n’y a sans doute pas de cause à effet, mais depuis leurs installations, les utilisateurs n’ont cessé d’augmenter. Aucune statistique, aucun chiffre pour le prouver, mais une pratique quotidienne du métro permet de l’affirmer. L’analyse porte sur les lignes A et D. Leur point commun ? « Bellecour », dont les caméras de surveillance enregistrent mes incessants allers retours dans une journée. J’ai un trajet bien rôdé. Je sais exactement devant quelle porte me positionner, je sais ce qu’il faut faire pour être en face de l’escalier qui permet de rejoindre ma correspondance dans les plus brefs délais, et je sais me faufiler. Une habileté largement suffisante jusqu’à cette année.
Car la croissance exponentielle des voyageurs en a surpris plus d’un. Les lyonnais subissent désormais cette promiscuité de sous-sol qu’ils condamnaient chez les parisiens, et les bousculades animent leur quotidien. On assiste à de vastes cohues de citoyens. Désordres, confusions, tumultes, frictions… se font brutalement ressentir. Résultat : ce n’est pas comme à Paris. C’est pire !
Prenons l’exemple des escalators. Tandis que le parisien s’aligne gentiment sur la droite, afin de laisser passer les plus pressés, le lyonnais occupe tout l’espace de son escalier sans la moindre intention de se pousser. Après avoir préalablement vérifié que ses oreilles ne sont pas occupées par un quelconque écouteur MP3, il faut lui crier « pardon » ou jouer des coudes si non. Mais d’une façon ou d’une autre, il faut se manifester. Car le lyonnais ne voit pas son semblable, trop occupé à discuter quand il est accompagné, ou tout simplement perdu dans ses pensées. Et comment l’incriminer ? Aucune pancarte digne de ce nom n’est là pour l’informer. Aucune inscription ne lui indique qu’il doit se ranger sur un côté. Ce n’est vraiment pas de sa faute puisque personne ne lui dit comment se comporter…
De même dans le wagon du métro, et plus précisément dans ses allées. Le lyonnais n’a pas la présence d’esprit d’occuper tout l’espace. Si les places assises sont prises, il reste au milieu, penaud et décontenancé. Comme si la peste entourait les insolents privilégiés, il ne s’avance pas entre les sièges, mais reste, déçu, devant la porte qui permettrait aux autres de monter. Il serait également intéressant, à ce niveau d’analyse, d’évoquer les bus, dont l’entrée s’effectue désormais vers le chauffeur, et dont la partie arrière reste désespérément vide de tout voyageur, tandis que l’avant est bondé. Mais il ne faut pas s’éparpiller. Tenons-nous en aux lignes A et D.
« Bellecour ». La plus redoutable station du parcours. Aux heures sensibles, des agents TCL sont postés devant les accès par mesure de précaution. Il s’agit de guider des lyonnais dramatiquement inadaptés à la brutale augmentation de population. D’abord, il faut les empêcher de tomber du quai, les faire reculer en hurlant « S’il vous plaît ! ». Ensuite, il faut leur dire de laisser descendre les autres, et les maintenir écartés de la porte pendant le temps nécessaire. Enfin, quand il n’est plus possible de faire entrer un voyageur supplémentaire dans le wagon, il faut retenir les plus obstinés, prêts à tout pour entrer. Une mission qui nécessite d’avoir des nerfs en acier (en plus d’un costume TCL qui, disons-le, est difficile à porter).
Voyageur d’une « ligne D » qui se distingue en raison de son absence de chauffeur, le lyonnais n’a qu’à bien s’accrocher. Enfin, s’il le peut. Car contrairement au métro parisien où il suffit de lever la main pour attraper une poignée, ici il n’y a rien. Certains risquent parfois quelques doigts entre les lattes poussiéreuses du plafond, mais la grande majorité cherche un équilibre précaire, les deux pieds écartés. Au moindre coup de frein, chacun teste ses réflexes et la capacité d’amortissement du voisin d’à côté.
Il y a des stations qu’il faudrait pouvoir éviter. « Bellecour » ou « Saxe Gambetta » en priorité. Ces lieux de correspondances sont particulièrement encombrés. Mais il y en a aussi qu’on ne pourrait pas soupçonner. L’arrêt « Sans souci », par exemple, mérite d’être cité. Un nom plein de promesses, plein d’allitérations en « s » pour susurrer l’envie. On y croirait presque, en passant entre « Monplaisir-Lumière » et « Garibaldi ». Après tout, pourquoi pas une amnistie de quelques minutes, une grâce en sous sol ? Pourquoi pas un arrêt de métro où on pourrait faire une pause sur les tracas de la vie ? Mais que nenni ! Cet arrêt est une énorme supercherie.
Une marée d’universitaires se rue vers les sorties. Les voyageurs qui restent dans le wagon, soulagés, rivalisent de stratégies pour obtenir les sièges libérés tandis que les autres, sur le quai, se font piétiner. Il faut les voir se démener pour ne pas être emportés par les étudiants. Le spectacle est étonnant. Et au moment où ils voudraient entrer, les alarmes qui indiquent la fermeture des portes sont déjà en train de sonner. C’est alors qu’on peut assister à toutes sortes de réactions. Quelques uns, défaitistes, renoncent au premier « bip », résolus à attendre la prochaine rame de métro. Mais nombreux sont ceux qui ne veulent pas s’avouer vaincus. Déterminés, ils s’engagent dans le wagon en repoussant avec eux les dernières personnes qui souhaitaient en descendre. C’est une vaste mêlée qui se forme en quelques secondes. Ainsi, les portes sont régulièrement bloquées et il faut attendre…
Ca laisse le temps de réfléchir. Parfois, il arrive même qu’on puisse se dire que le métro, à Lyon, il est beau. C’est vrai. Il est propre, il est clair et il y a des fauteuils colorés et confortables. Pas comme à Paris. Mais on se demande si on est vraiment mieux ici…