samedi 3 février 2007, par Mireille Disdero
On quitte le couloir pour l’ascenseur qui mène au parc du sud. Dehors, la lumière. Tu ne la sens pas, Jean ? Tu sais, la lumière aime tes yeux. Si tu veux bien un instant sortir de ta tête, de cette cage en forme de tête, tu peux la voir, sentir comme elle se pose sur ta peau. C¹est la vie, mon vieux. Refuse pas ... Jean. Il n’y a rien de mieux.
Je le pousse, dans son îlot roulant, vers un banc qui joue à l’ombre solaire. Je bloque son frein et regarde dans la même direction que lui. Les rails du chemin de fer, loin, au-delà de la barrière. Les herbes hautes qui dansent avec le vent. Un rien. Ce remous de vie atmosphérique. Et puis, plus loin encore, les cris effilochés des enfants d’une école. L’écho de la cour de récréation, un brin de cristal brisé en mille morceaux. Jean regarde vers cet horizon. Qu’est-ce qu’il voit... Jean, dis-moi, où es-tu ?
Il ne frémit pas sous le vent, sous la lumière qui devrait lui brûler le coeur. Il est le dormeur du val. Il ne sent pas la vie le toucher, déposer sur lui un baume. Son coeur est troué depuis qu¹il a refroidi sa vieille poupée d’amour. Parfois, je traverse les épaisseurs de sa cage. Je pose une main chaude sur ses joues. Alors, pour lui, je passe et repasse mes doigts sur
son visage, caresse sa vieille vie.
Là, je vois ses pupilles bouger, une seconde seulement. Il vit. Dans ma tête je chuchote « Jean ». Et puis, je m’assieds sur le banc à mi-ombre mi-soleil. Je ferme les yeux. A mes côtés, le vieux tueur calfeutre les siens au même instant. La lumière s’allonge sur nous et sur nos vies. La même pour lui et moi. Partage.