Entre musique...
Le CD Light Of My World (Jet Star, avril 2003) n’a pas même fini de tourner que Rise to the occasion (Greensleeves, septembre 2003) est déjà sur le marché. Les compositions, bariolées de consonances hip-hop - Blemish, d’influences R’n&B - Need, ou de hardcore qui prend au corps - Just through my love, laissent place à un nouvel album tout aussi éclectique. Sizzla est capable de tout, et il le prouve. Il adresse de positives claques aux rythmes poussiéreux, dévoilant ses multiples influences - soul, blues, rap, latino - pour mieux retourner les situa-sons. Un opus en forme d’obus lancé à la face du monotone. Sizzla étonne.
Elevé par des parents rastafariens et issu de la communauté Bobo Ashanti, Sizzla se montre généralement un prêcheur plutôt... « endiablé ». Mais, dans la lignée de Light Of My World, Rise to the occasion parle moins des sujets controversés auxquels l’artiste nous a habitués que d’amour pour les femmes. Il confirme ici sa toute récente tendance à dévier de ses cibles naturelles : la corruption de Babylone, l’oppression de la nation noire... Les lyrics sont désormais plus optimistes. Dix-sept mélodies marquent la parfaite maîtrise d’un Sizzla résolument plus sympa.
Avec des titres comme Nice and lovely, True love, The One ou All I need, c’est à se demander si le fauve n’est pas « fall » amoureux... Jah merci (traduction approximative de l’expression « Dieu merci »), Hype ou These are the days démontrent que Sizzla a encore le ragga hardcore à cœur. Ainsi, il déverse ses bombes hybrides et déchirantes, ses appels dichotomiques, flammes de l’amour et feux de la guerre contre Babylone. Ce dernier album est une réussite et vient couronner une production solo époustouflante, partie immergée d’un iceberg vert-jaune-rouge composé d’un nombre stalactifiant de 45 tours qui forment son succès auprès de tous les sound-systems.
... Et polémiques.
Artiste prolifique ? Peut-être un peu trop. Certains critiques s’accordent pour dire que toutes ces sorties d’albums dans un laps de temps très court nuisent à la crédibilité de l’artiste. Une sélection plus réfléchie assurerait un accès direct au meilleur de son œuvre. Sizzla s’en fout. Sous son turban de bobo dread, il imagine déjà un éventail de nouveaux sons, s’illumine dans sa passion, prêt à tout, tout apprêté de ses convictions. Une lourde suspicion de reggae-business pèse sur lui. Il ne dément rien. Il travaille.
En Jamaïque, la musique s’élève du chaos social quotidien. Elle est de partout et la concurrence est rude. Dans la compétition, les messages de paix et de tolérance valsent. Les mélodies sont étouffées par la fureur de certains propos bobos. Comme Capelton, Sizzla semble nourrir un racisme tenace envers les blancs, un machisme féroce envers les femmes et une haine barbare envers les homosexuels. Son album Black History (2001), lui vaut, entre autres, de nombreuses critiques et relance divers débats. Car finalement, les « more fire » sont adressés à qui, à quoi ?
Quand Sizzla fait un concert en France, les briquets s’allument. Les pouces blacks et blancs font simultanément vibrer les pierres et produisent la lumière. Son public le sait bien : le racisme de Sizzla ne vise pas les occidentaux mais les représentants d’une société capitaliste qui l’oppresse mais dont il bénéficie quand même largement. Sur son désir ardent de tout brûler, il faut écouter les textes des chansons pour se renseigner. En effet, Sizzla n’entretient pas de rapport avec les médias et n’accorde pratiquement jamais d’interviews. Evitant également toute campagne promotionnelle, le succès fulgurant de l’artiste est d’autant plus surprenant, de cette trempe, de cette corde vocalement flamboyante.
Kalonji le bien nommé : une voix volcanique
Le cinéma de Sizzla : une voix sur un diaporama de racines africaines. Percussions qui heurtent Babylone. Les feux d’un éclat de douleur sur les ardeurs d’une rythmique Nyabinghi : « Babylone is burning ». Tout est là.
Fatis Burrell, Bobby Digital, Richard Bell... Les meilleurs producteurs s’intéressent au troublant Kalonji. Ses accents d’écorché ne cessent d’intriguer. Entre prières à Jah Rastafari et colères, Sizzla se révèle particulièrement sensible et inspiré et sa voix peut se montrer aussi extrémiste que ses idées. Capable de changer dix fois d’intonation au cours d’un même morceau, il flirte avec les graves et les aigus, explore les ampleurs, séduit les sonorités farouches, conquiert les tensions de la bouche. Ses expériences vocales, ses embrasements gosiers, font l’unanimité.
Sizzla insuffle. Kalonji souffle. Il aspire aux hymnes vertigineux, rejette les accords trébuchants, entre croches noires et danses blanches. Son esthétique vocale oscille entre reggae roots et dancehall revendicatif, allégorie du rythme, du ballottage entre les certitudes et les doutes, entre les racines et les déchirements. Il fait vibrer les irrégularités sur la gamme de ses inflexions accentuées.
Ce Bobo Ashanti ne peut pas être ignoré. Si le personnage agace par la virulence de certains propos, l’artiste n’en reste pas moins brillant. Ses lyrics, sa musique, ses expériences vocales sont en constante progression et se dirigent vers la consécration de son nom. Pour la petite histoire, Kalonji signifie « victoire »...