Imaginez une cuisine très allongée, en forme de couloir, au bout du couloir, juste en dessous de la fenêtre, un évier. Prenez un placard de vaisselle, avec assiettes, poêles, verres, mugs,... Maintenant imaginez cette vaisselles crado à souhait, amoncelée telle une tour Jenga dans l’évier. Voilà à quoi j’ai eu droit, au réveil, le jour du départ en vacances de mon coloc Max. De quoi me mettre en joie.
Après trois jours de bons petits plats cuisinés avec sa copine, ils n’avaient pas trouvé opportun de faire la vaisselle avant de partir. Moi qui ne cuisine quasiment jamais, parce que je n’aime pas ça, mais aussi parce que ça me saoule de passer mon temps une éponge à la main, j’ai les boules.
Ne sachant trop à quelle heure Max doit prendre l’avion, je lui envoie un petit SMS en espérant qu’il n’ait pas déjà traversé l’Atlantique : " Bon voyage et euh,... merci pour la vaisselle. " Réponse quelques temps plus tard : " Merci et euh... ça fait un mois que je fais la tienne. " Qu’est-ce que c’est que cette excuse à la mords-moi le nœud ? Je boue mais on ne va pas s’engueuler par SMS de chaque côté de la planète...
Déjà, je n’avais pas franchement intégré qu’il y avait MA vaisselle et SA vaisselle, je pensais qu’il y avait tout simplement LA vaisselle. C’est pour ça que ça ne me choquait pas qu’il la fasse un peu plus souvent que moi (mais faut pas abuser non plus, moi aussi j’ai lavé SES trucs sales...), vu que, moi, je passais l’aspirateur quasiment toutes les semaines... Je pensais qu’on avait atteint, sans vraiment le verbaliser, un genre d’équilibre... Hé bien, il faut croire qu’il ne le voyait pas sous cet angle là... Apparemment ça lui coûtait de laver de temps-en-temps MON assiette et MON mug... Bon, soit, mais si ça lui coûtait tant que ça, pourquoi se forcer ? Pourquoi ne pas tout bonnement laisser la vaisselle sale dans l’évier ? Pourquoi vouloir à tout prix s’occuper de MES affaires ? Si c’était pour me le faire payer après, fallait surtout pas se sentir obligé !
Ça c’est typiquement un truc de " Sauveteur " [1] . Les Sauveteurs ce sont des gens qui veulent à tout prix vous sauver alors que, vous, non seulement vous n’en avez pas besoin, mais surtout vous n’avez rien demandé. Et moi, j’aime pas les Sauveteurs, ça me gonfle ! Parce que bien souvent quand un Sauveteur se rend compte que vous n’êtes pas la " Victime " dont il a besoin, il s’énerve et devient " Persécuteur ". C’est pour ça que moi, quand je vois un Sauveteur, je dégaine la première.
Imaginez une Belle-au-Bois-Dormant. Elle fait la sieste tranquille. Et là, un type, qu’elle ne connaît ni d’Eve ni d’Adam, entre dans sa chambre, sans frapper, et lui colle un baiser sur la bouche. À ce moment-là, la fille, excédée, se transforme en dragon et bouffe le Prince Charmant. Eh bien moi, je suis un peu comme ça... La prochaine fois que Superman s’approche de MA vaisselle sale, je le retourne et je lui file un coup de pied dans les couilles, ça lui passera peut-être l’envie de vouloir s’occuper de MES affaires...
Autre situation, autre exemple, je bois un verre avec des potes. On discute de politique, d’engagement, de militantisme, j’évoque mon questionnement du moment à ce sujet, et je ne sais trop comment, la discussion se focalise d’un coup sur moi et mon boulot.
Une de mes amies ne comprend pas pourquoi je me " complais " dans ce boulot qu’elle estime alimenter l’engrenage du capitalisme : enquêtrice par téléphone. Pour elle, bosser dans une boîte de télémarketing fait presque de moi un pilier du capitalisme, un suppôt de Satan. Au début, je marche, je commence à vouloir me justifier. Mais j’ai beau lui expliquer que d’une part, je ne suis qu’une intermédiaire, que si les gens ne voulaient plus être emmerdés, ils n’avaient qu’à arrêter de répondre, qu’elle pouvait lancer un boycott si elle voulait, que d’autre part, si je n’étais pas là, un autre le ferait à ma place, et que, pour finir, le fait que cette boîte me permette de bosser selon mes dispos me convenait parfaitement, rien n’y faisait, elle s’acharnait à vouloir me trouver tout un tas d’autres boulots, cent fois plus intéressants, selon elle, que je pourrais faire à la place de " ce job pourri ", limite collabo.
Prends-toi ça dans la face ! J’ai commencé à sentir le dragon bouillir en moi et j’ai dû me contenir pour réussir à convaincre Wonderwoman de renoncer à vouloir me sauver à tout prix avant que ça dérape.
Non, vraiment, s’il vous plaît, pour votre santé comme pour la mienne, Sauveteurs et Superhéros de tous horizons, fuyez-moi ! Je ne suis pas la Victime qu’il vous faut !
[1] Cf Les concepts de l’Analyse Transactionnelle et les Jeux Psychologiques : http://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_Transactionnelle#Les_jeux_psychologiques